Comprendre Le Corbusier et son époque 

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Les illustrations sont tirées de l'ouvrage pour enfants Corbu comme Le Corbusier.

- Des fenêtres comme ça, grand-père, il y en a partout.

- Oui, mais quand j'étais petit, ça n'existait pas !

 

Habiter, oui, mais habiter bien ! Il faut de la lumière, de l'espace, des meubles confortables et beaux... et la nature tout autour.

Un pionnier

Le visiteur qui découvre des bâtiments de Le Corbusier, comme l'une des cités radieuses (Marseille, Briey, Rezé, Firminy, Berlin) ou l'usine Duval peut éprouver une certaine déception. En effet, celui qui fut sans doute le plus connu des architectes du XXe siècle, semble n'avoir produit qu'un bâtiment analogue à bien d'autres dans les grands ensembles. 

Le Corbusier était un pionnier. Ses grands immeubles pouvaient surprendre lorsqu'ils furent édifiés. Aujourd'hui, ils paraissent avoir été imités maintes fois, au point d'être devenus tristement banals. Et pourtant, ils restent exceptionnels. Rares sont les bâtiments collectifs qui offrent cette harmonie dans les proportions,  ces multiples soucis du détail, cette qualité des finitions. 

D'autre part, l'architecte était également un pionnier dans l'utilisation des matériaux. Comme tous les pionniers, il eut recours a des solutions techniques innovantes qui n'ont pas toujours bien vieilli. Ainsi, la fabrication du béton n'était pas maîtrisée en 1947 comme elle l'est actuellement, ce qui explique la dégradation des brise soleil. Mais, faut-il condamner un édifice seulement sur l'aspect dégradé d'une partie de ses éléments ? Trop souvent pour celui qui n'est pas familier de l'architecture, cet aspect extérieur empêche de voir la qualité réelle de l'œuvre. Il faudrait alors être myope afin d'apprécier l'édifice sans en remarquer les imperfections qui en affectent la peau.

Par ailleurs, le béton brut renvoie ce que le ciel lui donne, c'est-à-dire les teintes chaudes du soleil couchant aussi bien que les couleurs froides et grises de la pluie.

Enfin, l'architecture doit aussi se juger depuis l'intérieur. A ce titre, l'atelier de confection, invisible depuis l'extérieur, est remarquable par l'ambiance lumineuse qui s'en dégage, la qualité des proportions et le bon état de conservation du béton brut de décoffrage.

Il convient donc de chercher à dépasser ces premières déceptions éventuelles pour saisir la qualité de l'œuvre.

 

Un généreux théoricien

On a du mal à comprendre ce que la pensée de Le Corbusier avait de généreuse lorsque l'on voit les unités d'habitations qu'il édifia, qui évoquent les grands ensembles H.L.M., les barres et les tours.

Et pourtant. Il faut se mettre dans le contexte de l’époqueIl faut tenter d'imaginer ce qu'était la vie quotidienne dans les logements urbains des années 20. Il faut se représenter les nombreux appartements qui n'avaient ni eau courante, ni chauffage central, et ne recevaient jamais la lumière du soleil. L'humidité y persistait toute l'année. Ces habitations généraient diverses maladies dont la mortelle tuberculose. Dans un émouvant courrier adressé au préfet de la Seine, Le Corbusier dénonce un logement qui assassine ses occupants successifs, "tous de solides auvergnats venus directement de leur campagne". 

On comprend donc qu'à cette époque-là la question des taudis, de la tuberculose, de l’hygiène sociale des villes étaient des questions primordiales. La priorité n’était pas du tout comme aujourd’hui l’image et la culture de la ville ancienne !

Il y avait une volonté de raser les îlots insalubres qui n’était pas spécifique à Le Corbusier.

C'est ce qui l'amena à imaginer des logements confortables et économiques en recourant aux techniques industrielles de construction. Il faut se souvenir de ces fait lorsque l'on juge les immeubles de la reconstruction construits après guerre ou les grands ensembles HLM, bâtis dans les années 60 : ils apportaient un confort et une hygiène souvent absents des constructions anciennes. 

 

Mais le projet de Le Corbusier ne s'arrêtait pas là. Dans un souci de rapprochement entre l'homme et la nature, il accordait aussi une grande importance à l'exposition : l'air et la lumière du soleil devaient y rentrer abondamment. Pour cela, il fallait que les immeubles soient suffisamment espacés entre eux, sans vis-à-vis, l'espace dégagé devant alors permettre d'installer des équipements de sport et de loisir en quantité. Pour faciliter la vie quotidienne, il voulait que les commerces et services de proximité soient intégrés à l'intérieur même de l'immeuble. Quant aux logements, ils devaient être spacieux et leur insonorisation parfaite. C'est ce que l'on put observer dans la Cité radieuse à Marseille, où  une rue commerçante occupe tout un étage. Les logements furent recherchés par les professeurs de piano pour la qualité de leur insonorisation. Le toit y reçut une école maternelle, un gymnase, une piste de course à pied, un petit théâtre en gradins, des "collines artificielles" pour les jeunes enfants, une terrasse d'où l'on bénéficie du soleil et d'un panorama remarquable sur la mer et les reliefs entourant la ville.

Enfin, en parallèle à la destruction des formes anciennes, Le Corbusier recherchait des formes nouvelles. Ce seront les villas des années 30, dont la villa Savoye sera sans doute la plus aboutie.

L'application pervertie des idées de Le Corbusier après guerre

Après guerre, certains principes de Le Corbusier furent repris : on construisit effectivement des millions de logements collectifs qui n'étaient certes pas insalubres. Mais pour des raisons d'économie, que resta-t-il vraiment des idées généreuses dans les H.L.M. des années 60 ? Logements insonorisés ? Immeubles espacés, sans vis-à-vis ? Nombreux espaces de loisirs ? Commerces et équipements de proximité ? Toits terrasses aménagés ?  Architecture soignée ? De tout cela, il ne subsista à peu près rien ! 

Par ailleurs, Le Corbusier n'avait pas prévu les difficultés à habiter dans des immeubles de grande hauteur, et il est peut-être dommage qu'il n'ait pas poursuivi ses recherches sur l'habitat semi-collectif ou les cités ouvrières (comme à Pessac en Gironde). On peut en effet déplorer qu'après guerre la France privilégia les immeubles collectifs, alors que dans les pays anglo-saxons on préférait les habitations plus basses.

 

Cinq éléments pour une architecture moderne

Toujours visionnaire, dès 1927, Le Corbusier définit cinq éléments pour une architecture moderne. Ils provenaient tous directement des progrès faits dans les techniques constructives.

1. Les pilotis, libérant le rez-de-chaussée.
2. Le plan libre, dans lequel les colonnes de béton permettent de s'affranchir des murs porteurs et d'aménager librement le cloisonnement intérieur.
3. La fenêtre en longueur, augmentant la luminosité des pièces.
4. La façade libre, dégagée des murs porteurs, qui peut être plus librement "modelée" par l'architecte.
5. Le toit-jardin, offrant une surface libre accessible à l'air, à la lumière et au soleil.

 

 

 

 

 

 

L'usine Duval est le premier édifice de Le Corbusier où ces cinq éléments sont tous présents.

 

Le Corbusier sur le chantier de l'usine Claude et Duval

Ne manquez pas de lire l'émouvant courrier adressé au préfet de la Seine, dans lequel Le Corbusier dénonce un logement qui assassine ses occupants successifs.

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